LE SALAIRE « CHOQUANT » DE CARLOS TAVARES N’EST QUE LA PARTIE VISIBLE DE L’ICEBERG

« Je ne vois même pas ce qu’on peut faire avec 36 millions d’euros. […] Ce sont des sommes démesurées, stratosphériques et évidemment choquantes », s’était ému Gabriel Attal sur BFM-TV, le 18 avril. Le Premier ministre réagissait à la validation, par les actionnaires du groupe Stellantis (né de la fusion de PSA et Fiat Chrysler), de la rémunération de leur dirigeant, Carlos Tavares, évaluée à 36,5 millions d’euros pour la seule année 2023. Son salaire avait déjà jugé « choquant » par Emmanuel Macron. Et Tavares de les défier :

« Si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi et je la respecterai… »36,5 millions d’euros en 2023 : pour le patron de Stellantis Carlos Tavares, une rémunération qui dérange

Si le gouvernement plaide pour une taxation des (très) hauts revenus à l’échelle internationale, l’idée de limiter l’envolée « choquante » des rémunérations de grands patrons reste pour l’instant sans réponse. Sauf qu’elle induit un écart démentiel entre les dirigeants d’entreprise, aussi stratèges soient-ils, et leurs propres salariés, qui demeurent la force de travail à l’origine de la valeur générée.

L’association Oxfam se penche, ce mardi 30 avril, sur les pactoles touchés par les magnats du CAC 40, les quarante plus grandes entreprises françaises. Résultat : les patrons ont, en moyenne, empoché 130 fois plus que leurs ouailles.

« Bompard gagne en 9 heures le salaire annuel moyen des salariés de Carrefour »

Sur le podium de l’abyssale différence, on retrouve le géant des centres d’appels Teleperformance, dont le PDG Daniel Julien a gagné 1 453 fois plus que le salaire moyen dans la multinationale en 2022.

Suivent Alexandre Bompard, patron de Carrefour, qui a empoché 426 fois plus que la rémunération moyenne de son entreprise, puis Carlos Tavares, qui a touché 341 fois plus que le salaire moyen de Stellantis. « Je ne sais pas si on se rend compte, mais Alexandre Bompard gagne en seulement 9 heures l’équivalent du salaire moyen annuel des salariés de Carrefour », dénonce Léa Guérin, chargée de plaidoyer sur les questions de régulation des multinationales chez Oxfam.

On note que ce grand écart retombe quand on ne considère que la rémunération fixe des patrons : les grands manitous gagnent alors en moyenne 24 fois le salaire moyen de leurs employés. Et pour cause : la part fixe représente moins d’un tiers (27 %) de la rémunération des dirigeants, ceux-ci touchant le gros lot en variables (bien souvent indexées sur les résultats financiers) et en actions. D’où le soin apporté aux actionnaires par le CAC 40 : en 2022, ces entreprises ont reversé en moyenne trois quarts de leurs bénéfices à leurs actionnaires, plutôt que de les réinvestir ou de les attribuer aux salariés…

« Tant que les PDG seront incités à choisir la satisfaction des actionnaires plutôt que les salariés ou l’environnement, on ne pourra pas enclencher une réelle transformation sociale et écologique, commente encore Léa Guérin. Il est temps que l’entreprise soit bénéfique pour tous et non plus pour quelques-uns. »

27 % d’augmentation pour les patrons

Au passage, l’étude d’Oxfam met en exergue un autre écart surprenant : entre 2019 et 2022, la rémunération moyenne des PDG du CAC 40 a augmenté de 27 % quand le salaire moyen au sein de leurs entreprises n’augmentait que de 9 % – sur ces quatre années, l’inflation cumulée s’établit à 8,65 %.

Quelle solution ? Limiter l’écart entre le patron et ses salariés à un rapport de 1 à 20, comme le réclamait en 2017 Jean-Luc Mélenchon, alors candidat La France insoumise à l’élection présidentielle ? Pour l’heure, aucun groupe du CAC 40 ne s’y tient. Tout juste Crédit agricole, Eurofins Scientific, Unibail-Rodamco-Westfield et Orange demeurent sous le seuil d’un écart de 1 à 30.

Mieux payer les salariés, comme le promet le PDG de Michelin, Florent Menegaux, qui va mettre en place un « salaire décent [qui] représente entre 1,5 fois et 3 fois le salaire minimum » ? Pas suffisant chez Michelin : le patron a touché 2,8 millions d’euros en 2022, soit 50 fois plus que la rémunération moyenne dans son entreprise.

Ou encore faire – enfin – jouer leur rôle aux parts variables des rémunérations ? Les actionnaires seraient bien inspirés de regarder de près le sacro-saint cours de Bourse pour juger de l’efficacité de leur patron. En témoigne Teleperformance, lanterne rouge du CAC 40, qui a vu son action s’effondrer de 43 % en 2022, ce qui n’a pas empêché le PDG Daniel Julien d’empocher 2,5 millions d’euros de variable et 14,7 millions d’euros de (mal nommées) actions de performance.

Vous avez dit « choquant » ?

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