"ON VERRA CE QUE L’HISTOIRE RETIENDRA" : LA DéFENSE BANCALE DE RAOULT SUR LES ESSAIS D'HYDROXYCHLOROQUINE

« On verra bien ce que l’histoire retiendra de cette grande folie de l’hydroxychloroquine », s’est agacé ce 30 mai Didier Raoult sur BFMTV au micro de Bruce Toussaint. L’ancien patron de l’IHU (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection) marseillais était invité à répondre aux accusations d’essai thérapeutique « sauvage » lancées deux jours plus tôt par 16 sociétés savantes, à l’instar de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique ou encore la Conférence nationale des comités de protection des personnes.

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Ces organisations ont dénoncé, dans une tribune publiée le 28 mai dans Le Monde, la prescription à des patients de l'IHU atteints du Covid-19 d’hydroxychloroquine, jusqu’en décembre 2021, hors de tout cadre légal. Mais l’infectiologue n’en démord pas. Au micro de Bruce Toussaint, Didier Raoult a tenté de défendre ses « protocoles » en multipliant les fausses informations. Petit tour des arguments parfois (souvent) douteux du scientifique marseillais.

« Étude observationnelle »

C’est le premier argument de Didier Raoult. Alors que les organismes qui l’accusent d’essai thérapeutique sauvage l’accusent, ainsi que les équipes de l’IHU, d’avoir administré de l’hydroxychloroquine aux patients atteints du Covid-19 en dehors de toute réglementation, lui répond qu’il s’agissait d’une « étude observationnelle ». Autrement dit, d’une étude qui consiste à ne pas donner de traitements (ou produit, type de prise en charge…) supplémentaire, mais à observer puis quantifier les effets d’un traitement déjà prescrit. Par exemple, une étude observationnelle peut consister à comparer la survenue d’un trouble cardiaque chez un groupe de personnes prenant un anxiolytique et un autre qui n'en prend pas.

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Or, c’était loin d’être le cas pour l’hydroxychloroquine à l’IHU. Celle-ci a été administrée délibérément aux patients sans autorisation de mise sur le marché (AMM), ce qui en fait une étude interventionnelle, comme le décrit le code de la santé publique : une étude qui comporte « une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle ». Cela implique un cadre strict, d’autant plus depuis la loi Jardé de 2012 qui s’intéresse aux risques encourus par les personnes participant à des recherches. « Et l’IHU a violé cette loi : il aurait dû y avoir un protocole suscitant l’avis d’un comité de protection des personnes », explique à Marianne le sénateur (EELV) de Paris, Bernard Jomier, qui avait vertement critiqué par le passé le maintien de Didier Raoult à la tête de l'organisme marseillais.

« J’avais le droit, et les autres aussi »

Sur BFMTV, Didier Raoult maintient que les prescriptions en dehors du cadre des autorisations de mise sur le marché (AMM) sont fréquentes. « J’avais parfaitement le droit, et les autres aussi, de prescrire de l'hydroxychloroquine en dehors de l'autorisation de mise sur le marché », martèle-t-il. « Mais la prescription hors AMM est prévue et encadrée par des conditions précises », réplique Bernard Jomier. Il faut qu’il n’y ait pas d’alternative possible au traitement, que cette prescription soit indispensable à l’amélioration ou du moins au maintien de l’état du patient. Autrement dit, que les connaissances disponibles permettent de soupçonner ses effets bénéfiques.

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Et là aussi, c’est loin d’être le cas pour l’hydroxychloroquine ! Déjà, parce que les connaissances n’allaient pas dans le sens d’un bénéfice pour les patients, mais surtout parce que deux organismes l’ont interdit. Dès mai 2020, le Haut conseil de la santé publique interdisait la prescription d'hydroxychloroquine comme traitement du Covid-19. Un décret publié le 27 mai abrogeait un précédent décret, publié deux semaines avant, qui autorisait « par dérogation » la prescription d « hydroxychloroquine et l'association lopinavir/ritonavir (...) sous la responsabilité d'un médecin aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge ». Rebelote en octobre 2020 : cette fois, c’était l’Agence du médicament (ANSM) qui considérait que « les données disponibles, très hétérogènes et inégales, ne permettent pas de présager d’un bénéfice de l’hydroxychloroquine, seule ou en association, pour le traitement ou la prévention de la maladie Covid-19 » et refusait ainsi de donner une recommandation temporaire d'utilisation à l’hydroxychloroquine.

Pourtant, à en croire l’étude publiée en prépublication en avril dernier par Didier Raoult et ses équipes, des patients ont reçu l’élixir jusqu'en décembre 2021. Soit plus d’un an après la publication de l'ANSM. « Et il est obligatoire d’avoir le consentement éclairé des patients lors d'une administration hors AMM », poursuit le sénateur. Peu probable dans le cas de l'hydroxychloroquine à l'IHU, puisque plus de 30 000 personnes en ont reçu. « Une prescription hors AMM se fait au cas par cas », précise encore Bernard Jomier. D’après le code de la santé publique, « le fait de pratiquer ou de faire pratiquer une recherche impliquant la personne (...) sans avoir obtenu l'avis favorable d'un comité de protection des personnes » est passible d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Et plus encore si le consentement des patients n’a pas été recueilli.

« Diminuer la mortalité »

Surtout, c'est sur la défense de l'efficacité de son traitement préféré que Didier Raoult refuse de faire machine arrière, assurant qu’en la prescrivant à grande échelle, nombre de décès auraient pu être évités. « Au début de la crise sanitaire, au printemps 2020, on peut comprendre l’incertitude et que certains en aient donné à des patients, c’était une situation d’urgence », estime quant à lui Bernard Jomier. Mais rapidement, des dizaines de travaux scientifiques et de méta-analyses ont montré que le traitement ne diminuait pas la mortalité des malades du Covid-19. Certains ont même souligné un risque accru de décès chez les patients en ayant reçu.

Pour Bernard Jomier, « il y a eu des morts indirects » à cause de l'hostilité à la vaccination au profit de l’hydroxychloroquine. Pour Didier Raoult, son traitement reste préférable à un vaccin. Sur BFMTV, l'infectiologue a encore qualifié l'injection d’« espèce de folie » et assuré qu’à l’IHU, une femme « a perdu un œil après le vaccin ». Un discours qu'il tient depuis des années, et qui a pu pousser certains à repousser les injections. « Il faut des suites judiciaires et une prise en compte du personnel politique des pratiques de Didier Raoult », insiste Bernard Jomier, qui a saisi la procureure de la République de Marseille à propos des prescriptions d'hydroxychloroquine à l'IHU.

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