C’est sous très haute sécurité, et dans le plus grand secret, que Volodymyr Zelensky a effectué jeudi 8 février, un déplacement en Europe occidentale. Le matin et la journée, il était à Londres, le soir à Paris, où Emmanuel Macron l’a accueilli à l’Elysée, en compagnie du chancelier allemand Olaf Scholz. Après Washington en décembre, c’est le second voyage à l’étranger du président ukrainien depuis le début de la guerre. Avec à chaque fois le même but: demander davantage d’aide militaire à ses alliés, des avions de combat notamment.
Ce jeudi matin, il était attendu au Conseil européen de Bruxelles. La politologue ukrainienne Oksana Mitrofanova décrypte cette visite. Spécialiste des relations internationales, chercheuse à l’Académie des Sciences sociales d’Ukraine, l’équivalent du CNRS, elle est depuis quelques mois enseignante à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) à Paris.
La politologue ukrainienne Oksana Mitrofanova. Photo DR
Challenges: Pourquoi le président Zelensky a-t-il fait cette visite surprise à Londres et Paris mercredi, Bruxelles ce jeudi?
Oksana Mitrofanova: Tout simplement parce que la guerre passe par une étape nouvelle. Avec l’intensification des combats, les besoins en équipements militaires ont changé. La question cruciale qui se pose aujourd’hui est celle de la livraison d’avions, dont l’Ukraine a urgemment besoin. Le président Zelensky essaie d’obtenir les moyens de protéger le ciel de son pays des bombardements, de plus en plus nombreux, des missiles et des drones. Il espère des F16 américains, comme des avions de chasse britanniques et français. Si ce ne sont pas des rafales, des mirages feraient bien l’affaire. Mais il faut une acceptation politique de la France. Emmanuel Macron a dit la semaine dernière, lorsque notre ministre de la défense est venu à Paris, qu’il est prêt à "envisager" la question. Mercredi, il a confirmé "la volonté de la France d’accompagner l’Ukraine vers sa victoire". Attendons de voir concrètement ce que cela signifie.
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Certains pays européens ont-ils déjà accepté d’envoyer des avions à l’Ukraine?
La Pologne a déclaré qu’elle y était prête, mais à condition de ne pas agir seule. Les Pays-Bas aussi veulent apporter une aide aérienne, mais en s’engageant à plusieurs, en coalition. S’agissant de la France, il faut savoir si elle est prête à envoyer des avions, à fournir de la logistique, à former des pilotes. Elle a déjà été très active en faveur de l’Ukraine. Elle a envoyé des Crotales et des lance-roquettes, beaucoup de générateurs électriques aussi, mais la guerre fait encore rage et l’hiver en Ukraine est loin d’être fini.
Quelle est l’image d’Emmanuel Macron dans la population ukrainienne?
Elle a favorablement évolué. Au début de la guerre, ses messages étaient peu lisibles. Parfois, ils nous ont heurtés, notamment lorsqu’il a dit qu’il ne voulait "pas humilier la Russie", ou lorsqu’il a parlé des "peuples-frères russes et ukrainiens". Il a aussi demandé de "donner des garanties de sécurité à la Russie", ce qui est un véritable oxymore! Ca a beaucoup déplu et déçu. Pendant longtemps les Ukrainiens n’ont pas compris si la France était vraiment prête à aider, et ce qu’elle était prête à nous donner. Puis les choses ont changé, Paris s’est rattrapé, a envoyé des canons Caesar, qui ont été les bienvenus, se sont avérés très efficaces et sont devenus célèbres. Les experts en parlent régulièrement à la télévision et à la radio. Les Ukrainiens savent aussi que le système Crotale les protègent des bombardements et abattent les drones. Ils en sont très reconnaissants. Mais ils attendent davantage d’aide des Occidentaux car, pour nous, c’est une question de survie.
Les Européens, la France notamment, apportent aussi de l’aide humanitaire. Comment cela est perçu?
Nous savons que nos alliés nous envoient du matériel militaire et de l’argent. Grâce à cela nous pouvons verser les salaires des fonctionnaires, les retraites des plus âgés. Grâce à l’aide occidentale nous pouvons survivre et continuer à vivre au quotidien. Nous en éprouvons beaucoup de gratitude et apprécions que les Européens soient unis pour assister l’Ukraine, la protéger, puis, quand la Russie sera tombée, l’aider à reconstruire. La politique européenne a changé, elle aussi. Depuis le déclenchement de la guerre, nous nous sommes rapprochés, nous avons réalisé que nous partagions les mêmes valeurs. Aujourd’hui nous sommes fiers d’avoir le statut de candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Même s’il faut encore que nous travaillions beaucoup pour répondre aux normes de l’UE, pour faire des progrès, il faut ouvrir les négociations avec Bruxelles le plus vite possible.
Mercredi, le président Zelensky s’est rendu d’abord à Londres, pourquoi?
Sans doute parce que d’un point de vue logistique, c’était plus simple. Ensuite, aussi, parce que la Grande-Bretagne est le pays qui a fourni la plus grande aide militaire, après les Etats-Unis depuis le début de la guerre.
Quel est l’Européen le plus populaire en Ukraine?
Boris Johnson, sans hésitation. Après l’agression de l’Ukraine, il a été le premier à venir, le premier à aider. Il n’a cessé d’essayer de convaincre les Occidentaux, y compris les Américains, d’accroître l’aide militaire aux Ukrainiens. Ceux-ci l’aiment beaucoup et se sentent proches de lui. D’ailleurs, ils lui ont donné un petit sobriquet affectueux pour ukrainiser son nom, "Johnsonuk". Andrzej Duda, le président polonais, est aussi populaire. L’Ukraine a une relation de proximité et de confiance avec la Pologne qui lui a tout de suite apporté une aide logistique, humanitaire, militaire. C’est souvent à Duda que le président Zelensky téléphone en cas d’urgence, y compris en pleine nuit.
Et Scholz? Le chancelier était sur le perron de l’Elysée pour accueillir le président Zelensky. Quel est son image en Ukraine?
On sait qu’il a un rôle important en Europe, mais ce qu’on voit, c’est qu’il hésite tout le temps. Pour envoyer des chars Leopard, il a dû subir de multiples pressions, et attendre des signes de ses partenaires avant de prendre une décision. Ce qui ne nous rassure pas.
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