EMMANUELLE MAUREL, UNE CHRONIQUEUSE JUDICIAIRE HORS PAIR S’EN EST ALLéE

‌La fine écriture, haute et étroite, courait sur le carnet. La main gauche, légère au bout d’un poignet retourné à angle droit, notait tout à toute vitesse. Manu observait, écoutait, rien ne lui échappait : un froncement de sourcil de l’avocat général, les murmures du public et, bien sûr, l’ombre d’un voile sur le visage de l’accusé, homme ou femme, dont elle avait la charge de chroniquer le procès.

Au soir, elle livrait un papier bien troussé — une de ses expressions. Elle n’était pas la plus rapide à rédiger, mais elle était de loin la meilleure et son compte rendu d’audience tombait pile à l’heure de la dead line.

Son premier lecteur, le chef de service, se régalait. Il défilait dans la galerie des grandes affaires criminelles de la décennie 1990-2000 et voyait s’animer leurs acteurs. De Simone Weber, la bonne dame de Nancy convaincue d’empoisonnement, au zélé fonctionnaire de Vichy Maurice Papon. Et tant d’autres, comme ces frères siamois de l’horreur, les Jourdain, procès où elle était arrivée coûte que coûte au palais de justice de Saint-Omer, crottée de boue, après que sa voiture de reportage eut versé dans un fossé.

Elle rendait limpide un dossier d’instruction complexe

Les articles du Parisien étaient alors assez courts, deux-trois feuillets, mais en peu de mots Manu vous plongeait au cœur d’un dossier d’instruction complexe qu’avec un don inégalable elle rendait limpide. Précis, vif, dense, plein de relief, son style souvent lapidaire, toujours ciselé, restituait les catharsis qui explosent dans les prétoires quand un avenir est en jeu. Elle émaillait ses articles de joutes verbales, où affleurait de temps à autre un aveu qui ne veut pas se dire.

La chronique judiciaire est une spécialité journalistique, comme il y a le reportage, l’enquête ou l’interview, et ce genre peut tutoyer des sommets. Manu l’exerçait avec un art subjectif subtil, doublé d’une rigueur intellectuelle qui esquivait la passion de l’intime conviction autorisée aux seuls jurés. Elle n’en pensait pas moins et nous livrait au journal les récits haletants de ses transports aux Assises.

Elle nous réservait aussi quelques colères épouvantables, défendant bec et ongles sa rubrique, les principes, le refus de faciles dérives face à une justice parfois malmenée. Le verbe alors, aigu et cinglant, sortait d’un corps resté longtemps juvénile et le tout résumait les apparents paradoxes d’une journaliste qui portait loin le métier, sans faillir à l’esprit d’un journal populaire auquel elle dévouait une grande partie de sa vie.

Ce service des faits divers qui était viscéralement le sien

Elle y avait débarqué pour un stage tout-terrain dans la jeunesse de ses 20 ans, licence de lettres en poche et diplômée de l’IPJ. Lorsqu’elle a, des années plus tard, déserté les tribunaux et pris des responsabilités, toujours aux Informations générales, ce service des faits divers qui était viscéralement le sien, elle éditait les papiers avec soin. C’est alors dans la titraille qu’elle a excellé, fulgurance arrachée dans l’adrénaline des bouclages.

La maladie et ses multiples désordres ont eu raison de ce talent auquel il faut rendre justice. À sa mère Madeleine, que nous savons toujours abonnée à notre journal et à son fils Alexandre, à ses amis de la presse judiciaire, les journalistes du Parisien associent leur chagrin. Dans nos archives dorment les articles d’Emmanuelle Maurel, ils attendent celles et ceux qui, un jour, s’intéresseront peut-être aux lointains dossiers criminels. À leur tour et à leur lecture, ils seront saisis, comme nous l’avons été.

Les obsèques auront lieu jeudi 2 mai à 14h30 au crématorium du Mont Valérien à Nanterre (Hauts-de-Seine).

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