Alors que la contestation sur la réforme des retraites se prolonge et que la « guerre de l'eau » a fait, le week-end dernier à Sainte-Soline, de nombreuses victimes, Emmanuel Macron s'est donc résolu à plonger lui-même dans l'arène. Attendu le 26 janvier et sans cesse reporté, le fameux « plan eau », qu'il présente ce jeudi 30 mars depuis les Hautes-Alpes (son premier déplacement en France depuis deux mois), tombe à point nommé pour permettre au président de reprendre la main. « Le sujet préoccupe les Français, et le plan que nous présentons nous projette dans l'avenir », décrypte une source au gouvernement. La question de la ressource en eau, « vitale pour le pays », insiste l'Élysée, illustre surtout parfaitement à la fois les tensions qui déchirent la société, et le besoin de dialogue et de concertation qui seront indispensables pour relever les défis.
En effet, en termes de reprise en main, il y a urgence. Des difficultés se profilent pour l'été 2023, après un long hiver de sécheresse ayant laissé de nombreuses nappes phréatiques asséchées. Les restrictions, déjà en vigueur dans plusieurs départements, vont se multiplier, et les arbitrages promettent de raviver les tensions entre différents utilisateurs. À court terme, « le but est de réussir à faire des économies d'eau, comme on l'a fait avec l'énergie cet hiver », détaille l'Élysée.
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Tout en adaptant le pays, à long terme, à un cycle de l'eau qui menace de profondément se modifier, alors que les prévisions annoncent une élévation de la température de 3,8 °C en France d'ici à la fin du siècle. « Ce plan porte en germe un changement d'approche radical », en s'appuyant sur plusieurs piliers, détaille un conseiller : « la sobriété, la création de nouvelles infrastructures adaptées, et la mobilisation de tous les acteurs ». Car si la gestion de l'eau est entièrement décentralisée, un cadre garantissant la concertation la plus large possible doit devenir la règle ? afin de dépasser les tensions, le sujet étant devenu un totem pour de nombreux écologistes, pour lesquels les préoccupations environnementales doivent l'emporter sur toutes les autres, et qui refusent, parfois violemment, toute modification du parcours de l'eau.
Parmi la cinquantaine de mesures du plan, une partie porte donc sur ces objectifs (chiffrés) de sobriété, afin de parvenir à baisser, globalement, la consommation d'eau de 10 % d'ici à 2030. L'ensemble des secteurs sont visés. Industrie, particuliers qui seront invités, dans une vaste campagne de communication, à restreindre leurs usages ou à installer des « mousseurs » sur leurs robinets (chaque Français consomme en moyenne, aujourd'hui, 149 litres d'eau par jour)? Et l'agriculture, grosse consommatrice, particulièrement pendant les mois d'été. En plus des changements d'assolement qui seront encouragés (modification de certaines cultures, amélioration génétique, multiplication des rotations, couverts végétaux, moindre travail du sol, etc.), une enveloppe de 30 millions d'euros aidera les exploitants à moderniser leur matériel d'irrigation, en optant pour le goutte-à-goutte, par exemple, ou en s'équipant de sondes capacitaires ou de logiciels d'aide à la décision. « En période de pénurie, chaque goutte d'eau doit compter », résume l'Élysée.
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Des soutiens financiers sont également prévus, pour aider les collectivités concernées à réparer et entretenir leurs tuyaux ? aujourd'hui, quelque 20 % de l'eau potable disparaissent dans des fuites. « L'idée n'est pas ici de faire des économies, puisque l'eau retourne au milieu. Mais de sécuriser l'accès à la ressource », précise le ministère de l'Agriculture.
C'est le deuxième axe d'une autre série de mesures : la législation est tellement restrictive, aujourd'hui, que 99 % des eaux usées, après avoir été traitées pour ne pas nuire à l'environnement, repartent dans les cours d'eau, ou vont se diluer dans la mer. Si elles permettent dans le premier cas de maintenir le débit des rivières, cette eau est simplement perdue dans le second cas, lorsqu'elle se transforme en eau salée. Très en retard par rapport à ses voisins du sud, la France veut développer la réutilisation de ces eaux usées, pour l'irrigation des cultures notamment, dans les contextes qui seront pertinents, par exemple autour des centres urbains du littoral.
La législation sur les eaux usées sera également assouplie pour permettre aux industries agroalimentaires, soumises à une réglementation sanitaire stricte, de les utiliser pour nettoyer leurs bâtiments ? aujourd'hui, la réglementation impose de l'eau potable. « En plus d'utiliser l'eau de pluie pour la chasse d'eau des toilettes, par exemple, cela représente un potentiel d'économies de 150 millions de m3 », détaille le cabinet du ministre de l'Agriculture Marc Fesneau.
« Mais il faut être lucide, les économies et le recyclage ne permettront pas tout », insiste un conseiller. Car si l'agriculture devra profondément se réformer, les productions devront aussi être maintenues ? voire augmentées, alors que la France importe aujourd'hui 60 % de ses fruits, et 40 % de ses légumes? souvent de pays du Sud, plus affectés encore par le réchauffement climatique. Alors que seulement 6,8 % des surfaces agricoles sont irriguées en France, cette part « va nécessairement augmenter », anticipe le gouvernement, qui a fait de la reconquête de la souveraineté alimentaire une priorité. Si la vigne n'était pas irriguée il y a quinze ans, elle menace aujourd'hui, sans eau, de tout simplement disparaître? Une réalité que l'opinion publique a du mal à admettre.
Emmanuel Macron devra donc se mouiller, en le disant clairement : des retenues de substitution, que leurs opposants appellent « mégabassines », continueront d'être construites, selon des modalités et une méthode précises, insiste l'exécutif, en citant comme modèle? les « bassines de la discorde » de Sainte-Soline.
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« Il faut de la concertation au niveau local, à la manière de ce qui a été fait dans les Deux-Sèvres », rappelle le cabinet du ministre de la Transition écologique Christophe Béchu. « Le projet avait été signé par toutes les parties, et documenté par des études scientifiques. » La contestation violente, organisée par le collectif Les Soulèvements de la terre, a enflammé l'opinion, mais n'est pas parvenue à en venir à bout. La même méthode, mise en ?uvre dans plusieurs départements, a permis la construction d'ouvrages similaires, sans attiser les tensions. « Ce n'est pas une solution miracle, mais c'est un outil qui, s'il est bien géré et bien réalisé, peut dans certains contextes se révéler pertinent. Il est hors de question de le rejeter par principe », confie un conseiller.
Décidée dans le cadre de Projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), qui permettent d'impliquer l'ensemble des usagers d'un territoire dans un projet global pour faciliter la préservation et la gestion de la ressource, la construction de nouveaux ouvrages peut être soumise à des contraintes imposées aux acteurs ? économies, changements de pratiques pour les agriculteurs, etc. « Cela suppose de dégager un consensus, et d'éviter les blocages », souligne le ministère de l'Agriculture. Une soixantaine ont déjà été signées sur l'ensemble du territoire ? l'objectif est de parvenir à 120 d'ici à 2027.
Un fonds d'investissement de 30 millions d'euros sera mobilisé, à la fois pour restaurer les ouvrages existants - ces 300 000 points d'eau de plus de 1000 m2 recensés sur le territoire, plus ou moins oubliés et laissés à l'abandon, dont il s'agira de déterminer le volume et le niveau d'envasement -, et pour construire de nouveaux ouvrages.
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La concertation et la recherche de compromis imprègnent la philosophie que le gouvernement dit vouloir impulser. Un esprit de dialogue qui peine cruellement à s'imposer dans la période actuelle, la question de l'eau étant au c?ur de querelles idéologiques homériques. Au lac de Serre-Ponçon ce jeudi, un symbole d'ouvrage collectif bénéficiant directement à une foule d'acteurs ? électriciens, agriculteurs, professionnels des loisirs, touristes?, Emmanuel Macron devait le marteler : les comportements violents, visant à imposer par la force ou par l'intimidation sa propre vision des choses, ne sauraient être tolérés. Sera-t-il entendu ? Version soft de cette « guerre » larvée, le harcèlement judiciaire et administratif rend encore particulièrement long et pénible tout développement de projets.
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