PIERRE-OLIVIER SUR: «COMMENT J’AI éTé VIRé DE SCIENCES PO»

FIGAROVOX/HUMEUR - En 2018, le célèbre avocat pénaliste a vu l’une de ses interventions à Sciences Po annulée. Il raconte cette expérience et regrette le virage pris par l’institution de la rue Saint-Guillaume.

Avocat pénaliste, Pierre-Olivier Sur a été bâtonnier du barreau de Paris de 2014 à 2015 et a été bâtonnier doyen de l'Ordre. Il a été diplômé de Sciences Po en 1986.

Il y a six ans, j'avais été invité rue Saint-Guillaume, par je ne sais quelle association, pour un débat «MeToo» dans l'amphithéâtre Émile Boutmy. Mais le matin de la table ronde, j'ai été désinvité «parce que vous êtes l'avocat d'un violeur», m'avait dit sèchement une voix au téléphone.

Alors j'ai appelé le directeur de l'école. «Mieux vaut ne pas insister», m'avait-il dit, sans courage. Depuis, la haute personnalité prétexte de mon éviction, a bénéficié d'un non-lieu. C'est l'essentiel, mais on m'avait viré de mon école, parce que j'étais avocat d'un «violeur» qui ne l'était pas. Et je l'ai vécu comme un acte de violence. Car ce qui compte ce n'était pas le débat qui allait se tenir dans l'amphithéâtre Émile Boutmy, ni la vérité, ni les emportements, ni la tolérance, ni le respect de l'autre, mais la dictature d'une pensée unique. Je découvrais alors le wokisme à Sciences Po, le manque de courage de la direction ; le mal était là.

Je ne suis plus retourné dans mon école. Mais il se trouve que j'y ai eu un rendez-vous le 11 mars dernier. À cette occasion je me suis arrêté devant la péniche» - ce banc en bois patiné, qui rassemble les anciens et les nouveaux, autour de ce qui nous a construits : l'histoire moderne de la France et du monde, le courage de la liberté pour ses valeurs républicaines, et l'esprit de contradiction. Avec en plus, depuis Richard Descoings, l'excellence de l'ouverture tous azimuts.

En face de «la péniche», ce 11 mars, j'ai découvert le mur réservé aux associations. Et j'ai cru mal lire. Il criait Gaza. Non pour un témoignage sur l'indicible malheur d'une guerre. Non pour une référence au droit international. Non pour un appel à la paix. Mais pour la violence : des drapeaux, des poings levés, et Jean-Luc Mélenchon en photo qui veut récupérer ici, ce qu'il ne trouve pas dans les urnes, en attente du grand soir.

J'ai traversé la rue pour me rendre au Café Basile. J'y ai vu des étudiants travailler, se concentrer, réciter à mi-voix des cours compliqués, ou débattre posément dans toutes les langues. Le flipper a disparu et les invitations du Caca's club de Frédéric Beigbeder ne s'échangent plus sous les copies d'examen. Ces étudiants d'aujourd'hui sont meilleurs qu'à mon époque - plus sérieux, plus nombreux, plus divers. S'il vous plaît, laisser les bosser ! Peu importe qu'aux dernières élections, ils aient voté LFI à 60 %. Et laissez-les voter comme ils veulent !

Mais les quelques dizaines d'entre eux qui empêchent de travailler, qui interdisent le débat, qui virent de l'amphi un avocat, et quelques années plus tard une étudiante parce qu'elle est juive - c'est eux qu'il faut virer ! La faute de la direction est de n'avoir pas su diriger, d'avoir eu peur, d'avoir négocié et d'avoir annoncé qu'il n'y aurait pas de saisine du Conseil de discipline. Mais sait-on «cheffer» quand on est énarque et même sortis parmi les meilleurs?

Pour pallier cette faiblesse de la direction il a fallu faire intervenir les forces de l'ordre. Les images font le tour du monde. Et voilà l'ayatollah Ali Khamenei qui s'en délecte pour les relayer, afin d'annoncer la chute de la civilisation judéo-chrétienne.

La chute. C'est Camus. Un brillant avocat qui, traversant un pont, ne fait pas le geste qu'il aurait fallu faire, pour éviter la chute d'une femme dans le vide. Ensuite, pour lui et le reste, ce sera la chute.

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